Le plus important, c’est le chemin. Le chemin parcouru et celui, tout aussi noble, à venir. Aujourd’hui, c’est le lendemain de ta mort. De ton passage. Tu n’es plus, Murray Sinclair. Toi, ce géant de l’histoire. Avec ton regard perçant, extravagant.
Ce regard déposé en chacun de nous, comme une désinvolture nécessaire – une posture qui ne meurt pas, qui ne peut pas mourir. « Le chemin parcouru est aussi important que la destination convoitée. Il n’y a pas de raccourci. Lorsqu’il est question de vérité et de réconciliation, nous sommes forcés de faire la route », nous disais-tu. Tu as piqué nos cœurs. Avec ton effet miroir, immédiat et incontournable : cette élégance à dire le laid à travers une paume ouverte, tendue vers l’autre, une main tremblante, mais néanmoins invitante.
Sous ta direction, la Commission de vérité et réconciliation a entendu 6000 témoins dont la plupart étaient des survivants et survivantes des pensionnats autochtones.
Ils ont raconté la douleur, le déchirement identitaire, la perte de repères géographiques et linguistiques, la rage et le silence, la peur et la résignation, l’injustice et le trauma intergénérationnel, la mort réelle et appréhendée.
Déposer cette parole, d’abord. Honorer cette vérité, ensuite. Puis, réconcilier pour l’avenir. « Connaître la vérité a été difficile, mais se réconcilier le sera encore davantage », pouvons-nous lire dans la préface du rapport de la Commission de vérité et réconciliation. Tu nous auras prévenus, Murray Sinclair. Avec la parole libérée et dorénavant libre se dessine un point de non-retour : une profondeur dans la manière de se rencontrer, une façon différente de se regarder, de se voir à travers l’autre. La réconciliation naît de cette puissance, de cette force tranquille.
« Lorsque l’école est sur la réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont sauvages ; il est entouré de sauvages, et bien qu’il puisse apprendre à lire et écrire, ses habitudes, son éducation domestique, et ses façons de penser, restent celles des sauvages. En un mot, c’est un sauvage capable de lire et d’écrire. »
Des mots crus du premier ministre du Canada, sir John A. Macdonald, émis à la Chambre des communes en 1883 et repris dans l’introduction du rapport de la Commission de vérité et réconciliation.
Parfois, il ne faut bannir aucun mot. Car la censure est complice de l’histoire. Reproduire les mots qui tuent, donc, en sachant que nous prenons des risques. Ne rien cacher de la part d’ombre qui nous habite et nous précède. La vérité mérite qu’on lui fasse toute la place. Mais la vérité sait aussi que tout est à construire, dorénavant. Mutuellement. Respectueusement.
Quatre-vingt-quatorze appels à l’action. Une gravité. Une ascension. Quatre-vingt-quatorze appels qui touchent à l’éducation, à la langue, à la culture, à la justice, à l’histoire, à la commémoration, à la santé, aux formations en matière de réconciliation. Quatre-vingt-quatorze appels qui nous interpellent dans notre vie de citoyen puisqu’ils exigent que l’on repense les structures qui assurent notre mouvement.
Le pacte des glaciers qui fondent en se touchant, se transforment, deviennent liquides. Être cette eau qui empruntera la direction qu’on lui dessine, « afin de remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et de faire avancer le processus de réconciliation ».
Mais il y a plus, il y a mieux. Le leadership de Murray Sinclair en matière de réconciliation a été tel qu’il a transcendé les frontières et invité une culture de responsabilisation même sur la scène internationale. Ainsi, le 29 octobre 2024, le Comité des Nations unies sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes publiait son rapport à l’endroit du Canada : « Malgré les modifications à la Loi sur les Indiens, la discrimination de genre à l’endroit des femmes et des filles autochtones perdure au Canada. » Une série de recommandations sont alors faites, en particulier des modifications à la Loi sur les Indiens qui permettraient aux femmes et aux enfants qui ont historiquement perdu leur statut autochtone de le réclamer.
C’est aussi cela, l’héritage de Murray Sinclair. Le courage d’aller jusqu’au bout. De reprendre le flambeau pour éclairer tant que la pénombre persistera, même atténuée, même entourée de progrès.
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